Qui est Stanislas Dehaene ?
Stanislas Dehaene est un ancien élève de l’École normale supérieure et Docteur en Psychologie cognitive. En septembre 2005, il a été nommé Professeur au Collège de France, sur la chaire nouvellement créée de Psychologie cognitive expérimentale, après avoir occupé pendant près de dix ans la fonction de directeur de recherches à l’INSERM. Ses recherches visent à élucider les bases cérébrales des opérations les plus fondamentales du cerveau humain : lecture, calcul, raisonnement, prise de conscience.
13 conseils pour mieux apprendre de Stanislas Dehaene
Une petite vidéo très simple de Stanislas Dehaene pour commencer !
Ses cours au Collège de France sur les apprentissages scolaires
En 2014-2015, les cours de Stanislas Dehaene au Collège de France, avaient pour thème Fondements cognitifs des apprentissages scolaires. On peut regarder les vidéos (1h30) et télécharger les supports écrits en pdf sur le site du Collège de France http://www.college-de-france.fr/site/stanislas-dehaene/p8400556916311082_content.htm. Voici les différents cours :
– Éducation, plasticité cérébrale et recyclage neuronal ;
– L’attention et le contrôle exécutif ;
– L’engagement actif, la curiosité, et la correction des erreurs ;
– La consolidation des apprentissages et l’importance du sommeil ;
– La mémoire et son optimisation ;
– Fondements cognitifs de la lecture ;
– Fondements cognitifs de l’apprentissage des mathématiques.
Je vous présente ici un petit résumé des différents thèmes abordés dans un encadré bleu et quelques explications extraites du support écrit... Pour aller plus loin, n"hésitez pas à aller regarder les vidéos qui expliquent en détail !
Les 4 piliers de l’apprentissage
Les neurosciences cognitives ont identifié au moins quatre facteurs qui déterminent la vitesse et la facilité d’apprentissage :
– L’attention
– L’engagement actif : Maximiser la curiosité et la prédiction active
– Le retour d’information
- Signaux d’erreurs
- Récompense et motivation.
– La consolidation
- Automatisation : transfert du conscient au non‐conscient, et libération de ressources.
- Sommeil
Éducation, plasticité cérébrale, et recyclage neuronal
Chez l’enfant, le cerveau est particulièrement plastique, doté de puissants algorithmes d’inférence statistique.
La famille et l’école doivent fournir à ce « super‐ordinateur » un environnement enrichi, structuré et stimulant, et ce dès le plus jeune âge.
La plasticité cérébrale est modulée, positivement par l’enrichissement de l’environnement, négativement par la peur et les émotions négatives.
L’environnement d’apprentissage (familial et scolaire) doit être d’une grande richesse, empli de renforcements positifs et libéré de toute peur.
L’éducation peut moduler, de façon dramatique, le potentiel initial de l’enfant. Les parents et les enseignants sont responsables et ne doivent pas céder au découragement.
Toutefois, il ne faut pas surestimer la plasticité. Le cerveau de l’enfant est structuré dès la naissance, ce qui lui confère des intuitions profondes (notamment dans le domaine des objets, de l’espace, des nombres, du langage parlé…), mais aussi impose des limites à l’apprentissage.
L’enseignant doit connaître ces intuitions, s’appuyer sur elles. Tous les enfants sont « construits » de la même manière, et les mêmes domaines leur posent des difficultés.
Certaines stimulations doivent absolument être fournies précocement (par exemple l’exposition à une seconde langue).
Le cerveau est une formidable machine à apprendre : « Le bébé statisticien »
Le cerveau contient, dès la naissance, un algorithme d’apprentissage statistique extrêmement sophistiqué (apprentissage statistique Bayésien). L’enfant se comporte comme « un scientifique au berceau (Gopnik) :
‐ Le cerveau dispose, d’emblée, d’un jeu d’hypothèses hiérarchiques, qu’il projette sur le monde extérieur, et dont certaines sont très abstraites (exemples : « le monde est constitué d’objets rigides » ; « principe de causalité » )
Noyaux de connaissances (« core knowledge ») proposés par Elizabeth Spelke :
‐ Il sélectionne ces hypothèses ou schémas mentaux en fonction de leur plausibilité au vu des expériences qu’il fait ou des entrées qu’il reçoit.
‐ L’attention, la récompense, l’erreur, la curiosité, le sommeil, sont des éléments importants de cet algorithme encore imparfaitement compris.
Par exemple, L’enfant regarde plus longtemps les événements impossibles ou improbables.
Potentiel inné et environnement stimulant : Les deux facteurs essentiels de l’éducation
Selon Donald Hebb dans The organization of behavior, 1949 : "Deux facteurs déterminent la croissance intellectuelle : un potentiel inné, absolument indispensable, et un environnement stimulant, tout aussi indispensable. Il est inutile de se demander lequel est le plus important. On pourrait supposer que l’intelligence croît jusqu’à la limite fixée par l’hérédité ou par l’environnement – le minimum des deux. Dans un environnement parfait, c’est la structure innée qui donne le rythme ; mais en partant d’une hérédité de génie, c’est l’environnement qui domine."
Qu’entend-on par plasticité cérébrale ?
De nombreuses expériences des vingt dernières années montrent que l’apprentissage repose sur le renforcement et l’élimination de synapses, qui constituent les traces de mémoire de nos expériences et modifient le comportement de nos neurones.
L’activité neuronale (ou son absence) modulent sélectivement la stabilité des synapses.
Ces réarrangements synaptiques se produisent à des échelles de temps relativement rapides, par le biais de réarrangements des épines dendritiques. Le branchement des axones se réorganise également. La myélinisation des axones peut également être modifiée par l’usage.
Limites de la plasticité cérébrale : la notion de période critique
On appelle « période critique » ou « période sensible » une fenêtre temporelle pendant laquelle les circuits neuronaux présentent une capacité particulière de s’adapter aux entrées qu’ils reçoivent de leur environnement.
L’existence de périodes critiques est bien attestée dans le système visuel (vision binoculaire, amblyopie).
Selon Werker & Hensch, il existerait une hiérarchie de périodes critiques dans les différentes aires corticales et pour différents apprentissages :
Exemples dans l’espèce humaine pour l’apprentissage d’une seconde langue : baisse continue avec l’âge, particulièrement nette à la puberté.
Les périodes critiques peuvent être modulées : la plasticité peut se refermer ou se rouvrir. L’ouverture et la fermeture des périodes critiques ne dépendent pas uniquement de la maturation cérébrale, mais aussi de facteurs environnementaux et pharmacologiques.
Entre contraintes et plasticité : L’éducation vue comme un recyclage neuronal
Le cerveau humain est soumis à des contraintes anatomiques fortes, héritées de son évolution. Des cartes neurales structurées sont présentes dès l’enfance et biaisent les apprentissages.
La plasticité existe, mais elle est restreinte et contrainte. L’éducation tire profit de la très longue fenêtre de plasticité de l’espèce humaine.
Les acquisitions culturelles nouvelles ne sont possibles que dans la mesure où elles sont compatibles avec ces architectures neurales préexistantes, qu’elles recyclent. Chaque objet culturel doit trouver sa « niche neuronale » dans le cerveau : un circuit dont le rôle initial est assez proche, et dont la flexibilité est suffisante pour être reconverti à ce nouvel usage. Chaque circuit possède des propriétés intrinsèques qui le rendent plus ou moins approprié à son nouvel usage. Ces propriétés contraignent les formes culturelles et leur confèrent des traits universels.
Contraintes sur l’apprentissage : La vitesse et la facilité d’apprentissage doivent varier avec la complexité du recyclage neuronal requis.
Gains, mais aussi pertes : L’éducation conduit principalement à des gains de fonction (efficacité, généralisation), mais peut aussi entraîner des pertes (compétition corticale).
Exemple du recyclage neuronal dans le domaine des mathématiques : Le sens du nombre
Nous héritons de notre évolution une représentation approximative du nombre qui sert de fondation à l’apprentissage ultérieur de l’arithmétique exacte. L’enfant dispose d’intuitions précoces du nombre et de la géométrie sur lesquelles l’enseignant peut et doit s’appuyer.
L’attention et le contrôle exécutif
Trois systèmes attentionnels jouent un rôle clé dans les apprentissages :
– Le niveau de vigilance ou d’alerte.
– L’orientation de l’attention.
– Le contrôle attentionnel et l’inhibition des comportements indésirables.
Les enseignants doivent prendre en compte l’attention des enfants et ses limites :
– Vigilance : rendre l’école plus attrayante, créer de grands moments intenses, inoubliables (mais aussi prendre en compte le rôle du sommeil, l’importance des pauses, de l’activité physique, de la nutrition des enfants).
- Orientation de l’attention : éviter l’école distrayante (ex : nombreuses photos dans la salle), maximiser la concentration, minimiser tout ce qui détourne l’enfant du contenu enseigné.
– Contrôle exécutif : dès la maternelle, pratiquer des exercices qui permettent aux enfants d’apprendre à se contrôler et à se concentrer.
Le cerveau apprend beaucoup mieux en société :
– Jouer des indices sociaux (voix, regard) pour engager l’enfant dans l’apprentissage.
– Faire travailler les enfants ensemble, l’un enseignant à l’autre.
– Dans les familles de bas niveau socio‐économique, (ré)apprendre les fondamentaux de l’éducation aux parents peut être l’un des meilleurs investissements éducatifs.
Qu’est-ce que l’attention ?
On appelle « attention » l’ensemble des mécanismes qui nous permettent de sélectionner une information et ses étapes de traitement.
Au moins trois systèmes attentionnels (selon Michael Posner) :
– alerte : modulation globale de la vigilance.
– orientation (spatiale ou focale) : sélection d’un objet mental.
– contrôle exécutif : concentration sur une chaîne de traitements appropriée à une tâche donnée, résolution des conflits entre tâches.
L’attention est le 1er pilier de l’apprentissage
L’attention est le 1er pilier de l’apprentissage. L’attention module massivement l’activité cérébrale. Elle peut faciliter l’apprentissage, mais aussi l’orienter dans la mauvaise direction.
– Peut‐être le plus grand talent d’un enseignant consiste à canaliser et captiver, à chaque instant, l’attention de l’enfant, afin de l’orienter vers le niveau approprié. Mais aussi lui apprendre à faire attention.
L’alerte, ou QUAND faire attention
L’activation des neuromodulateurs impliqués dans l’attention et l’alerte peut rouvrir les périodes critiques chez l’adulte.
« L’action des neuromodulateurs tels que la sérotonine et l’acétylcholine (par le biais du récepteur nicotinique sur certains neurones gabaergiques) règle précisément la balance excitation‐inhibition (Lee et al. 2010), ce qui désinhibe les circuits locaux pour permettre l’apprentissage même chez l’adulte (Brown et al. 2012, Donato et al. 2013, Letzkus et al. 2011).
Les jeux vidéo fournissent un moyen particulièrement efficace d’engager ces mécanismes attentionnels et ainsi d’augmenter l’apprentissage (Bavelier & Davidson 2013).
Sélection des informations pertinentes, ou A QUOI prêter attention
L’orientation de l’attention modifie l’apprentissage... Exemple de la cécité inattentionnelle : quand notre attention est fixée sur une chose (attention sélective), nous devenons aveugles aux autres choses. Testez-le avec cette vidéo. Regardez la vidéo ci-dessous en fixant votre attention sur la pièce... Normalement, vous devez savoir à la fin de la vidéo où est la pièce !
Regardez à nouveau la vidéo en regardant les gobelets verts... L’aviez-vous vu ?
N.B. : Si nous voulons que nos élèves soient attentifs, il faut fixer des objectifs clairs...
Les limites de l’attention
L’attention exécutive agit comme un goulot d’étranglement central.
Lorsque nous sommes engagés dans une tâche donnée, les stimuli non‐pertinents peuvent devenir littéralement invisibles.
Même s’ils sont visibles, leur traitement est massivement différé (période psychologique réfractaire).
Conséquences pour l’éducation :
– l’enseignant doit créer des matériaux attrayants mais qui ne distraient pas l’enfant
de sa tâche primaire. Tout doit être mis en œuvre pour orienter l’attention vers le niveau pertinent.
– Prendre garde à ne pas créer de « double tâche », notamment pour les enfants
« dys » ou en difficulté.
Dans l’espèce humaine, l’orientation de l’attention dépend de signaux sociaux qui déterminent l’apprentissage
Le suivi du regard (attention partagée) détermine ce que l’enfant examine et apprend :
– Peu ou pas d’apprentissage linguistique en l’absence d’attention partagée.
– L’enseignant joue un rôle clé : par son attitude, il détermine l’attention de l’enfant.
Csibra et Gergely postulent que l’apprentissage en société constitue une adaptation évolutive fondamentale de l’espèce humaine, car il permet l’acquisition rapide de connaissances génériques ou sémantiques.
Les « signaux sociaux ostensibles » (contact visuel ou verbal) induisent une « posture pédagogique » chez l’enfant. Ils le biaisent à interpréter l’information qui leur est présentée comme importante et généralisable.
Ex : pointer du doigt ou de la voix et regarder l’enfant.
Le contrôle exécutif, ou COMMENT traiter les informations et apprendre à apprendre
Contrôle exécutif = l’ensemble des processus qui sous‐tendent :
– La planification, la sélection, l’initiation, l’exécution et la supervision des comportements volontaires, dirigés vers un but.
– La flexibilité cognitive dans la conception de stratégies nouvelles, non‐routinières.
Parmi les processus qui relèvent du contrôle exécutif figurent :
– Le maintien d’un but.
– La sélection des représentations perceptives, des actions et des opérations pertinentes
– L’inhibition des actions inappropriées.
– La détection et la correction des erreurs.
Au cours du développement, l’enfant apprend à se contrôler, c’est‐à‐dire à renforcer les stratégies appropriées et à inhiber les stratégies inappropriées.
L’entraînement du contrôle exécutif : un bénéfice majeur pour l’enfant. Le contrôle exécutif (capacité d’inhiber un comportement indésirable, de rester concentré en présence d’une distraction, de résister à un conflit) peut être entraîné chez l’enfant – de même que la mémoire de travail. De nombreuses activités ludiques développent le contrôle de soi,
par exemple :
– L’entraînement moteur (Montessori)
– La pratique d’un instrument de musique
– L’entraînement à la méditation (Tang & Posner, PNAS 2007)
Les effets se généralisent à de très nombreux domaines. Les enfants de milieu défavorisé en bénéficient le plus.
L’engagement actif, la curiosité, et la correction des erreurs
L’enfant doit rester maximalement attentif, actif, prédictif.
Plus la curiosité est grande, plus l’apprentissage est facilité.
L’erreur est parfaitement normale – elle est indispensable à l’apprentissage. Mieux vaut un enfant actif, qui apprend de ses erreurs, qu’un enfant passif et qui n’apprend rien. Ne pas confondre l’erreur (signal informatif) et la sanction ou la punition. Les punitions ne font qu’augmenter la peur, le stress, et le sentiment d’impuissance.
Privilégier les motivations positives et les récompenses qui modulent l’apprentissage. Le mot « récompense » n’implique ni behaviorisme ni conditionnement. Chez notre espèce, éminemment sociale, le regard des autres et la conscience de progresser constituent des récompenses en soi.
Pour préserver engagement et curiosité, l’enseignant devrait :
‐ Éviter d’asséner un cours magistral, mais prévoir de nombreux tests.
‐ Fournir à l’enfant un environnement qui laisse (l’illusion de) découvrir.
‐ Récompenser systématiquement la curiosité, et non la décourager.
Pas d’apprentissage sans surprise
‐ L’apprentissage ne fonctionne pas par association entre un stimulus et un autre, mais par anticipation et signal d’erreur. Cette règle s’applique probablement à de très nombreux circuits sensoriels et cognitifs.
Chez le bébé aussi, la surprise détermine l’apprentissage. Lisa Feigenson s’appuie sur de nombreuses expériences qui montrent que l’enfant regarde plus longtemps les événements impossibles ou improbables. Elle postule que la violation des attentes de l’enfant (surprise) indique une opportunité nouvelle d’apprentissage. Hypothèse : l’enfant apprend mieux après un événement impossible qu’après un événement possible.
Qu’est‐ce que la curiosité ?
L’enfant n’attend pas seulement la nouveauté de façon passive, mais il la recherche activement : c’est ce qu’on appelle la curiosité.
De nombreux psychologues, notamment Hunt (1965) et Berlyne (1960) suggèrent
l’existence d’une motivation intrinsèque à l’exploration.
Pour Loewenstein (1994), la curiosité serait l’identification d’un décalage entre ce que l’on connaît et que l’on aimerait connaître, décalage que l’on tente de réduire.
Kaplan et Oudeyer (2007) postulent qu’un organisme agit avec curiosité s’il recherche les situations dans lesquelles l’apprentissage est maximal : « Les animaux et les humains agissent afin d’optimiser le progrès de l’apprentissage ». Une équation précise est proposée :
Dans chaque « niche de progrès », le système évalue l’erreur de prédiction instantanée e(t)
et calcule la diminution récente de l’erreur de prédiction :
Découvrir des informations nouvelles est une motivation en soi
Les stimuli nouveaux attirent automatiquement l’attention (réaction d’orientation, ondes MMN, P3, etc). Ces réponses peuvent s’interpréter comme une motivation intrinsèque de l’organisme à déployer ses ressources pour réduire l’incertitude de ces stimuli (= apprendre).
Concept de « novelty reward » : la découverte d’informations nouvelles agit comme une récompense intrinsèque, qui entre en compétition avec d’autres récompenses au sein du circuit de la : dopamine.
La curiosité module les circuits dopaminergiques et l’apprentissage
La rétention en mémoire est meilleure lorsque la curiosité est élevée :
‐ Non seulement pour les faits examinés
‐ Mais aussi pour des visages présentés de façon fortuite, sans instruction particulière
Maximiser la curiosité dans l’enseignement : Comment augmenter l’envie d’apprendre ?
‐ L’apprentissage devrait être facilité lorsque l’enfant est engagé et actif, que sa curiosité est piquée par une situation pédagogique stimulante, et qu’on lui donne un retour immédiat sur ses erreurs.
‐ L’enseignant peut donc accélérer l’apprentissage en présentant un environnement enrichi : des situations (exercices, problèmes, concepts) conçus pour piquer la curiosité, et qui incitent l’enfant à la découverte « spontanée ».
‐ La curiosité suit une courbe en U inversé : L’enfant peut « décrocher » si on lui propose des situations d’apprentissage, soit trop faciles, soit trop difficiles… Principe d’adaptation de l’enseignement au niveau de l’enfant !
‐ La curiosité et l’apprentissage peuvent‐ils être récompensés ? C’est probable, puisque la récompense intrinsèque, liée à l’envie d’apprendre, se combine avec les récompenses extrinsèques au sein du même circuit dopaminergique.
- On peut, dans une certaine mesure, par des récompenses externes, encourager l’enfant à étudier certains domaines difficiles pour lui.
- On peut aussi, hélas, décourager l’exploration et tuer la curiosité si chaque tentative d’exploration se solde par une sanction externe.
L’enseignement trop explicite peut tuer la curiosité
Réflexions sur la différence entre note et signal d’erreur
La théorie de l’apprentissage distingue trois formes d’apprentissage :
• Non‐supervisé : le système internalise les régularités des stimuli qu’il reçoit, sans qu’une distinction soit faite entre les entrées et les sorties désirées.
• Supervisé : à chaque essai, le système est informé de la réponse qui aurait été correcte.
• Par récompense : le système ne reçoit qu’un scalaire (degré de réussite).
L’apprentissage supervisé est le plus efficace. L’apprentissage par récompense pose un difficile problème d’attribution (credit‐assignment problem) : il est difficile de savoir quel choix (parmi tous ceux effectués) a conduit à l’erreur, surtout si un délai intervient.
La note peut être considéré comme un signal de récompense non‐spécifique :
– Elle résume, sans les distinguer, différents types d’erreurs. Parfois même, elle ne varie pas (zéro !).
– Non seulement elle n’est pas spécifique, mais elle est souvent différée.
– Elle est profondément injuste lorsqu’elle sanctionne des exercices dont le niveau ne cesse d’augmenter de semaine en semaine.
– Ne négligeons pas ses effets sur les systèmes émotionnels (découragement, sentiment d’impuissance, stigmatisation des enfants)
Un concept intéressant de l’informatique : l’auto‐évaluation et la notion de critique interne.
– Architecture acteur‐critique : L’apprentissage par récompense est grandement facilité si on dote le système d’un « critique interne » qui apprend à évaluer chaque situation.
Conclusion : Remplacer les notes par une évaluation précise, différenciée, rapide, et qui ne puisse que progresser avec l’enfant. Promouvoir l’auto‐évaluation de l’enfant.
La consolidation des apprentissages et l’importance du sommeil
Le sommeil fait partie intégrante de notre algorithme d’apprentissage. Il intervient dans la consolidation des apprentissages.
Une période de sommeil, même courte, améliore :
– la mémoire déclarative.
– L’automatisation des activités procédurales.
– la découverte de régularités (insight).
Durant le sommeil, notre cerveau rejoue (parfois à vitesse accélérée) les décharges neuronales éprouvées pendant la veille.
Conséquences dans le domaine éducatif :
– Améliorer la durée et la qualité du sommeil peut être une intervention très efficace, notamment pour les enfants avec troubles de l’attention.
– Pour un bénéfice maximal, il semble que le sommeil doive survenir dans les heures qui suivent l’apprentissage.
– La consolidation est particulièrement importante pour les informations que nous avons besoin d’apprendre.
– il faut distribuer l’apprentissage : tous les jours !
– Et laisser dormir les adolescents dont les cycles de sommeil sont décalés.
Pilier 4 : la consolidation : Transfert de l’explicite vers l’implicite
Au début de l’apprentissage, le cortex préfrontal est fortement mobilisé : traitement explicite, conscient, avec effort.
Progressivement, l’automatisation transfère les connaissances vers des réseaux
non‐conscients, libérant les ressources.
Exemple de la lecture :
Au début, l’enfant retient les correspondances graphème‐phonème sous forme de règles
explicites, qu’il applique une par une lorsqu’il lit un mot.
Par la suite, le décodage devient de plus en plus routinier et fondé sur des
connaissances implicites, rapides et non‐conscientes.
Cette automatisation est essentielle :
Lorsque la lecture devient fluide et automatique, l’enfant cesse de se concentrer sur le décodage et peut mieux réfléchir au sens du texte.
Le sommeil ne se contente pas de consolider, mais transforme également les apprentissages
Cette expérience le suggère : Apprentissage des règles de transformation successive d’une chaîne de 8 chiffres [1,4,9]. Une astuce cachée permet de répondre plus vite.
Re‐test après une période de 8 heures avec ou sans sommeil.
Résultats : Augmentation très importante du nombre de sujets qui découvrent l’astuce.
Deux groupes contrôle ne montrent pas de différence selon l’heure de la journée.
Certains indices dans les temps de réaction suggèrent qu’il existe des précurseurs implicites
avant le sommeil, qui se transforment en une représentation explicite après le sommeil.
L’enfant, bien mieux que l’adulte, peut convertir un apprentissage implicite en connaissance explicite après une nuit de sommeil
En maternelle, une sieste peut considérablement augmenter les apprentissages
L’augmentation de la profondeur du sommeil facilite l’apprentissage chez les enfants atteints de troubles de l’attention
La mémoire et son optimisation
Trois facteurs modulent la force de la mémoire et la vitesse de l’oubli :
– La profondeur de l’encodage initial : Faire travailler activement les élèves sur le sens de ce qu’ils apprennent.
– L’alternance de périodes d’apprentissage et de test : Ne pas simplement exposer les élèves à un cours magistral, mais les tester en permanence, leur demander de donner une réponse et corriger leurs erreurs.
– La distribution de l’apprentissage en plusieurs fois : Espacer les séances d’apprentissage sur plusieurs jours ou semaines, et y revenir plusieurs mois après, ou même l’année suivante.
Ces phénomènes sont universels. L’idée répandue selon laquelle chacun dispose d’un « style d’apprentissage » qui lui est propre, est tout simplement fausse.
L’oubli suit une courbe exponentielle
Dès 1885, Ebbinghaus postule que l’oubli suit une loi exponentielle en fonction du temps. Il postule que l’oubli dépend de plusieurs facteurs, dont la force de l’encodage et la profondeur du traitement sémantique.
Loftus (1985) réanalyse de nombreuses données et montre que l’oubli est (légèrement) plus lent lorsque les faits initiaux ont été sur‐appris. Il semble donc possible de prolonger la mémoire.
Faire l’effort de comprendre facilite la mémorisation
« Rendre les conditions d’apprentissage plus difficiles, ce qui oblige les étudiants à un surcroît d’engagement et d’effort cognitif, conduit souvent à une meilleure rétention. »
« Par exemple, poser des questions difficiles pendant un exposé, et laisser les étudiants y réfléchir longuement avant de leur donner la réponse, devrait faciliter l’apprentissage et la rétention. »
L’effet des tests de mémoire (retrieval practise) : Se tester régulièrement maximise la performance à long terme
L’effet de la répartition de l’apprentissage à travers le temps (distributed practise)
L’apprentissage est « distribué » (spaced) lorsqu’on répète un item après un certain délai (interstimulus interval, ISI). Celui‐ci peut être vide ou peut comprendre d’autres essais.
L’apprentissage est dit « groupé » (massed) lorsqu’on présent un seul et même item sans interruption temporelle.
Observation expérimentale :
Dans de très nombreuses études, l’apprentissage distribué facilite la rétention en mémoire.
C’est particulièrement dans le cas de la mémoire verbale (apprentissage de phrases, de mots étrangers, etc). L’effet semble moindre pour l’apprentissage moteur ou dans les domaines « conceptuels » (mathématiques).
L’effet d’espacement et le rôle de l’intervalle de rétention
L’effet d’espacement semble varier avec le délai de rétention :
– On mesure l’augmentation du taux de réussite à long terme lorsqu’on augmente l’espacement des phases d’apprentissage.
– Le pic est atteint pour des intervalles de révision de plus en plus longs, à mesure que le délai de rétention s’accroit.
– La répartition de l’apprentissage sur plusieurs périodes, espacées d’au moins un jour, augmente considérablement la rétention en mémoire
– L’intervalle optimal n’existe pas : pour savoir comment allouer au mieux votre temps d’étude, vous devez d’abord décider pendant combien de temps vous désirez vous souvenir de l’information !
– La mémoire peut augmenter d’un facteur 2 ou 3 lorsque l’intervalle de révision est optimisé (de l’ordre de 10 à 20% du délai de rétention souhaité).
– Un délai de révision trop court est bien pire qu’un délai trop long.
L’intérêt des examens multiples : assurer une succession de révisions.
Que faire en cas d’examens multiples ? Tout dépend sur quoi ils portent.
Si chaque examen ne porte que sur le trimestre précédent, l’étudiant a intérêt à réviser uniquement les leçons des mois précédents, et ce à la dernière minute.
Du point de vue de l’enseignant, il vaut bien mieux que les examens soient cumulatifs et portent sur l’enseignement de toute l’année. En effet :
‐ l’étudiant sera motivé à réviser, au minimum, avant chaque examen.
‐ cette stratégie se traduira par des gains importants de mémorisation à long terme.
‐ Certains étudiants découvriront peut‐être que, pour maximiser la performance tout au long de l’année en minimisant le temps d’étude, il vaut mieux étudier en amont (10‐20% du délai final + petites révisions intermédiaires).
Certains travaux suggèrent que, si l’on dispose de plusieurs périodes de révision, un espacement de plus en plus grand pourrait être optimal.
L’espacement croissant garantit la meilleure performance
Un test en grandeur nature de l’espacement progressif, sur 12 semaines : apprentissage de la traduction en anglais de 60 mots japonais.
Révision régulière avec, à chaque séance, trois alternances de test‐révision
2 groupes de sujets :
‐ Intervalles croissants en rouge sur le graphique : Jours 1, 3, 9, 28 (intervalles de 2, 6 et 19 jours)
‐ Intervalles égaux en bleu sur le graphique : Jours 1, 10, 19, 28 (intervalles de 9 jours)
Résultats : la performance finale est identique
‐ mais l’intégrale de la performance sur l’ensemble de la période est bien supérieure
‐ Et, d’après le modèle, la décroissance finale doit être moins prononcée, ce qui assure une meilleure performance à plus long terme.
– L’apprentissage gagne à être espacé en plusieurs fois.
– Dans le domaine scolaire, où l’on recherche des effets de mémorisation sur de nombreuses années, l’espacement de quelques jours ou même quelques semaines ne suffit pas – il faut réviser après un intervalle de quelques mois au moins.
– Les examens sont utiles ! Ils incitent à la révision de dernière minute, mais ce phénomène est sans doute inévitable et pas forcément inefficace – tout dépend si l’élève a bien fait un effort d’apprentissage longtemps auparavant.
– Les révisions régulières, et donc les examens cumulatifs qui y incitent, présentent des avantages considérables pour la rétention à l’échelle de plusieurs années.
– Une révision partielle chaque année entraîne vraisemblablement le plus grand bénéfice pour l’élève.
Fondements cognitifs de l’apprentissage de la lecture
Sur la base des neurosciences cognitives de la lecture, et des règles qui gouvernent l’apprentissage, nous avons essayé de dégager 7 grands principes pédagogiques pour l’apprentissage de la lecture :
1. Enseignement explicite du code alphabétique
2. Progression rationnelle
3. Apprentissage actif associant lecture et écriture
4. Transfert de l’explicite vers l’implicite
5. Choix rationnel des exemples et des exercices
6. Engagement actif, attention, et plaisir
7. Adaptation au niveau de l’enfant.
Fondements cognitifs de l’apprentissage des mathématiques
– Les jeunes enfants, bien avant l’entrée à l’école, possèdent déjà des intuitions protomathématiques profondes et abstraites, qui doivent être utilisées comme « socle » des
apprentissages.
– L’enseignement explicite des mathématiques s’appuie sur ces intuitions et les rend plus
précises, par l’usage de symboles exacts.
– Le boulier, le comptage sur les doigts, fournissent des supports utiles à ces intuitions.
– Apprendre à réciter les noms de nombres ne suffit pas : encore faut‐il comprendre le
sens et le but du comptage.
– L’apprentissage du calcul présente des difficultés pour tous les enfants. Un travail
quotidien de mémoire permet de l’automatiser, libérant ainsi les ressources cognitives
pour des réflexions mathématiques d’ordre supérieur.
– Certaines catégories d’enfants présentent probablement un risque particulier de
dyscalculie (prématurité, alcoolisation foetale…).
– Des tests cognitifs facilitent le diagnostic des enfants en difficulté en arithmétique.
– Les jeux numériques, les jeux de plateau, et certains logiciels éducatifs peuvent être
utilisés avec succès chez l’enfant normal et en difficulté.
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |